L’invention du management par objectifs et auto-contrôle
Le management par objectifs et auto-contrôle a été inventé par Peter Drucker à la fin des années quarante, dans le cadre d’une collaboration étroite avec General Electric. Drucker avait publié en 1946 Concept of the corporation, considéré comme fondateur du management comme pratique professionnelle et des managers comme acteurs clés de la société. Harold Smiddy, alors consultant chez Booz, Allen et Hamilton, avait lu le livre et, prenant les fonctions de vice-président de General Electric en charge de la division de consulting interne, avait pris contact avec Drucker pour lui demander d’accompagner la mise en place d’un ambitieux plan de décentralisation de la structure de l’entreprise. Le management par objectifs et auto-contrôle est né de la conjonction de trois sources d’inspiration. La première est le modèle des « opérations et responsabilités décentralisées sous contrôle coordonné (decentralized operations and responsibilities under coordinated control) » proposé par Donaldson Brown, le directeur financier de General Motors, en 1927, et qui sera théorisé par Chandler dans son ouvrage de 1962 sous le nom de « Forme M ». La seconde est la « manager’s letter », dont Smiddy avait eu connaissance chez l’un des clients de Booz, Allen et Hamilton, et qui consistait en une lettre adressée périodiquement par chaque manager à son superviseur et qui était, après discussion, co-signée, devenant ainsi un contrat assorti d’objectifs partagés. La troisième source est liée aux idéaux portés par Drucker, idéaux inspirés à la fois des philosophes conservateurs de la Restauration (Stahl) ou de penseurs libéraux (Tönnies) sur l’appartenance à la fois à une communauté et à la société, et de travaux de sciences sociales (Schumpeter, Follett, Barnard). Drucker aspirait en effet à concevoir un dispositif de management capable de réconcilier l’efficacité bureaucratique et le sentiment de faire partie d’un collectif responsable.
Avis de l’Observatoire : les pratiques de management d’entreprises comme General Motors intégraient déjà l’utilisation d’objectifs, mais le management par objectifs et auto-contrôle marque plusieurs ruptures importantes par rapport aux pratiques antérieures. Il entérine le fait que les managers et knowledge workers, identifiés comme des populations nouvelles, relèvent d’un management spécifique. Il respecte le principe taylorien de séparation entre conception et exécution, sans reprendre la séparation, concomitante chez Taylor, entre concepteurs et exécutants. Il propose un management par les objectifs et pas seulement avec des objectifs, mettant le « manager responsable » au cœur de ce que Georges Odiorne, un consultant qui a beaucoup diffusé et mis en œuvre le MBO, appelle, dans son ouvrage de 1965, « a system of managerial leadership ». Si de très nombreuses entreprises ont, depuis les années cinquante, mis en place un management par objectifs, peu l’ont réellement mis en œuvre en respectant entièrement la lettre et l’esprit du projet de Drucker et Smiddy : Maslow lui-même, commentant le management par objectifs et auto-contrôle, saluait la pertinence et la cohérence de la méthode mais lui trouvait une part d’utopie, en ce qu’elle supposait, pour être réellement appliquée, des managers dotés de qualités intellectuelles et d’engagement responsable malheureusement rares.