Don et management
Par don il faut entendre « un transfert non exigible sans contre partie exigible » nous dit Alain Testart. Ce que montre bien cette définition c’est une distinction avec le contrat et donc la nécessité de trouver hors-obligation contractuelle ce qui amène les individus à donner, recevoir et rendre. C’est ce triptyque, cette triple obligation, que l’on peut concevoir comme une des bases des relations et du lien social, l’ensemble pouvant faire système dans ce que Alain Caillé présente comme une véritable rupture paradigmatique.
A partir de ce paradigme, qui trouve de nombreuses applications en sciences de gestion à partir des années 90, il est alors possible de porter un autre regard sur le management et ce, à différents niveaux (les travaux de Norbert Alter sont ici généreusement mobilisables). Dans le cadre de la socialisation primaire, on trouve du don au niveau général des groupes et des relations humaines avec notamment toute la part informelle qui accompagne, et souvent fluidifie, le fonctionnement formel des organisations. On trouve aussi du don au niveau du contrat psychologique qui lie les salariés à leur entreprise, avec ici tout ce qui pousse au-delà du contrat le salarié à chercher de la reconnaissance au regard de ce qu’il pense donner à son entreprise. Dans le cadre de la socialisation secondaire, on a aussi relevé du don au niveau des relations entre les firmes et du fonctionnement même des réseaux sociaux (l’embeddeness de Granovetter). Enfin avec une dynamique plus symbolique, le don pourrait être une dimension essentielle de certains entrepreneurs (Caillé parle d’entrepreneur du don) dont on peut voir la création initiale comme un pari social (Alter développe notamment cette “force” dans son étude récente sur les patrons atypiques).
Avis de l’Observatoire : l’omniprésence du calcul et de la rationalisation dans les entreprises a fait perdre de vue l’importance de la part du don dans le fonctionnement organisationnel. Pourtant, même dans un monde de la professionnalisation et de l’utilitaire, la logique oblative est toujours aussi présente. A partir d’une lecture du célèbre Essai sur le don de Marcel Mauss, plusieurs auteurs mettent en avant la (re)découverte de cette logique « anti-utilitaire » dans le management et sa centralité. Le paradigme du don est ainsi mobilisable dans des domaines spécifiques comme celui de l’économie sociale et solidaire qui se présente alors comme un tiers secteur (entre le marché et l’état) dont le fonctionnement est particulièrement lié à une lecture féconde qui s’intègre dans le triptyque donner/recevoir/rendre (cf. les penseurs de ce secteur comme Mauss, Gide etc.).
Au niveau de la consommation et du marketing plusieurs travaux montrent aussi l’importance de revenir à cette présence du don dans le fonctionnement marchand. Ce fonctionnement ne peut finalement se mettre en place en restant uniquement sur la base d’une lecture contractuelle (cf. le numéro spécial de la revue du MAUSS). D’une certaine manière on pourrait même proposer que les actions marketing reposent justement sur une logique de don dans le sens où il est impossible d’avoir des certitudes en matière de ROI en la matière. Comme le précisait déjà Baudrillard, « la fonction sociale de la publicité est à saisir dans la même perspective extra-économique de l’idéologie du don, de la gratuité et du service [...] Tout est possible et tout est bon, non pas tellement pour faire vendre que pour restituer du consensus, de la complicité, de la collusion ». La société de consommation, dont le marketing est un des acteurs, est encastrée dans le système du don en même temps qu’elle intègre un ethos du don. C’est même de ces hybridations que semblent naître les récents et féconds développements de ce que d’aucuns appellent l’économie du don, qui est plus que jamais travaillée par ceux que l’on pourrait nommer des « marketeurs du don » autour d’une consommation qu’ils voudraient collaborative.