L'approche culturelle des organisations
L’approche culturelle s’intéresse à la dimension humaine des organisations en mettant l’accent sur ce qui est partagé et ce qui distingue les organisations entre elles dans un contexte national et/ou international.
L’avènement du concept de « culture » en sciences de gestion remonte aux années 1970 à la suite des chocs pétroliers où l’appréhension longtemps partagée de l’organisation selon une logique rationnelle atteint ses limites : les entreprises les plus performantes ont du mal à dépasser la crise tandis que la résistance des entreprises japonaises soulève des questionnements. Ce sont des consultants américains, Peters et Waterman (1982) et Deal et Kennedy (1982), qui popularisent ce concept en expliquant que c’est la « culture de l’entreprise » qui fait la différence, en période de crise notamment. Dans le monde scientifique, les travaux de Schein (1985) constituent des balises essentielles à une multitude de recherches en sciences de gestion.
Avec l’accélération de l’internationalisation dès la fin des années 1980, le concept de culture prend une autre dimension pour caractériser, non seulement le nouveau facteur-clé de succès des entreprises, mais aussi la nature de certains aspects des relations interorganisationnelles comme les fusions-acquisitions, les partenariats ou les alliances. On parle ici de « culture nationale ». Dans le monde scientifique, on distingue deux approches principales qui permettent d’établir des comparaisons entre les pays. L’approche hofstedienne s’inspire des travaux anthropologiques de Klukhohn et appréhende la culture comme une « programmation collective » (Hofstede, 1980, 2000). Elle propose cinq dimensions permettant de configurer et de comparer les cultures entres elles : la distance hiérarchique, l’évitement de l’incertitude, l’individualisme, la masculinité et l’orientation vers le long vs le court terme. Résultats d’un important appareillage statistique, ces indices présentent une sorte de « moyenne » de valeurs culturelles que des individus d’un même pays partagent, plus ou moins. A titre illustratif, la France connaitrait une distance hiérarchique plus forte que les Etats-Unis (68 contre 40) et un niveau d’individualisme plus faible (71 contre 91). L’approche d’iribarnienne s’inspire, quant à elle, de l’anthropologie symbolique de Geertz et propose une définition de la culture comme « système de sens » (d’Iribarne, 1989). Selon une perspective historique d’inspiration ethnographique, cette approche présente les « logiques » sous-jacentes à chaque univers culturel. Par exemple, la France connaitrait une « logique de l’honneur » (en référence aux écrits de Montesquieu) où les relations entre supérieurs hiérarchiques et subordonnés seraient régies par un sens du devoir propre à chaque rang. Chacun aurait ainsi à cœur d’être à la hauteur des responsabilités relatives à son statut et propre à son métier. Les Etats-Unis connaitraient une « logique du contrat » où les relations sociales seraient basées sur l’idée d’un échange « fair » entre égaux. Selon d’Iribarne, ces cadres d’interprétation régissent le vivre ensemble au niveau des sociétés de manière inconsciente ou non et se concrétisent dans une grande diversité de situations dans les organisations, d’où une certaine homogénéité culturelle. Les travaux de Hofstede et de d’Iribarne permettent ainsi, chacun à sa manière, de mieux comprendre l’influence de la culture sur les relations sociales dans un contexte professionnel ou non.
Avis de l’Observatoire : l’approche culturelle permet de saisir des phénomènes les plus souvent sous-jacents de la vie des organisations. Elle permet, par exemple, de mieux comprendre les difficultés rencontrées lors d’une opération de fusion-acquisition internationale ou d’expliquer un succès exceptionnel (d’Iribarne et Henry, 2007) ou encore le rétablissement surprenant d’une entreprise (Segal, 2011). Elle s’oppose à une vision universelle et déracinée des individus et des pratiques et appelle notamment à une prise en compte des spécificités et des différences culturelles. Les expatriés, les managers travaillant dans des environnements multiculturels et les leaders de manière plus générale sont particulièrement sensibles à cette approche. Toutefois, s’intéresser à la culture dans les organisations peut présenter plusieurs dérives, ce concept appartenant au registre courant et étant parfois utilisé pour justifier, à tort, des difficultés rencontrées. Le « tout n’est pas culturel » rappelle d’ailleurs le débat entre Friedberg et d’Iribarne (2005) où le premier défend, entre autre, le postulat selon lequel la culture nationale ne représente qu’une partie de la réalité (et que l’autre partie relève d’autres composantes situationnelles – des ressources, contraintes, opportunités etc. - utilisées par les acteurs au service de leurs stratégies). Dans le même sens, une autre dérive de l’approche culturelle serait de tomber dans un réductionnisme culturaliste en omettant les différences entre les individus d’une même culture ou, à l’inverse, les ressemblances qui unissent des individus venant de différents horizons. L’approche culturelle soulève aussi des questionnements par rapport au caractère « moyen » ou homogène et stable de la culture. Avec la mondialisation, certains pourraient se demander si les individus ne seraient pas plutôt multiculturels dû à des processus de socialisation plus hybrides. D’ailleurs, une discipline relativement récente, le management interculturel, s’intéresse aux interactions interculturelles comme celles au sein des équipes ou des entreprises multiculturelles (Chevrier, 2000 ; Yousfi, 2011 ; Dupuis, 2013). Enfin, les controverses que suscite l’approche culturelle des organisations, malgré une large acceptation au sein de la communauté scientifique, pourraient s’expliquer par la polysémie du concept de culture ainsi que la charge idéologique qu’il porte.