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Qui n’a jamais envoyé un mail à minuit ou un tweet un 11 novembre ? Incontestablement, les technologies de l’information dans l’entreprise ont de façon radicale transformé le temps du travail, son rythme et son étalement ainsi que le lieu du travail, son périmètre. D’une certaine façon, smartphones, ordinateurs portables et tablettes, ont fait disparaître le lieu de travail, dans bien des secteurs, les salariés étant de plus en plus connectés en dehors des heures de bureau. La frontière entre les vies professionnelle et privée est complètement brouillée. D’après une étude (réalisée par Eléas en septembre 2016), 37% des actifs utilisent les outils numériques professionnels en dehors du temps de travail et 62% réclament une régulation de l’usage de ces outils. C’est dans ce contexte que le « droit à la déconnexion » est apparu, d’abord sous forme d’une préconisation dans une étude commandée par l’Etat et réalisée par une commission d’experts des relations sociales. La loi est promulguée en août 2016 et son entrée en vigueur le 1e janvier 2017 fait de la France le premier pays à reconnaître le « droit à la déconnexion ».
Il s’agit du droit pour un salarié de ne plus être connecté de façon permanente aux outils numériques professionnels et ainsi de ne plus être en permanence joignable pour des motifs liés à l’exécution du travail en dehors des heures de travail contractuelles. La loi vise ainsi à protéger les temps de repos et de congés des salariés en vue de redessiner la frontière entre vies professionnelle et privée. Elle vise aussi à répondre aux demandes d’autonomie et de liberté des salariés qui ne souhaitent pas succomber à l’hyperconnectivité ainsi qu’à protéger ces derniers face au risque de sanction par l’employeur en cas de non réponse immédiate. Devant la diversité des secteurs d’activité et des besoins des salariés, les modalités d’application de la loi restent à définir au niveau de chaque entreprise à travers des négociations collectives. La loi se veut donc non contraignante mais est présentée comme « une première pierre ». Concrètement, les partenaires sociaux doivent négocier de nouvelles règles de travail dans leur entreprise prenant la forme d’actions concrètes, comme par exemple : le blocage des mails pendant certaines plages horaires, un engagement pris par les supérieurs de ne pas contacter leurs salariés certains jours de la semaine (le weekend par exemple), la mise en place par l’entreprise de dispositifs de régulation de l’utilisation des outils numériques (relatifs aux notifications par exemple), la mise en œuvre d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques (un Mooc pour former les managers aux risques de la connexion permanente) etc. A défaut d’accord, l’entreprise comptant au moins cinquante salariés devra mettre en œuvre ce droit en adoptant une « charte de bonne conduite ». Bien avant l’entrée en vigueur de cette loi, plusieurs entreprises avaient anticipé les effets indésirables liés à l’hyperconnectivité et adopté des dispositifs de régulation des outils numériques. A titre illustratif, Volkswagen a décrété un système de veille des serveurs smartphones entre 18h et 7h. Daimler Benz a adopté le Mail On Holiday, dispositif permettant de supprimer automatiquement les courriers reçus pendant les vacances (après leur redirection vers d’autres interlocuteurs). Ou encore, Orange a signé un accord de déconnexion durant le temps de travail et notamment durant les réunions.
Avis de l’Observatoire : le droit à la déconnexion professionnelle appliquée de façon radicale impliquera des changements profonds dans la relation des individus au travail et son entrée récente en vigueur invite à plusieurs commentaires.
Il appelle d’abord à une responsabilisation de l’entreprise contre la sur-utilisation des outils numériques professionnels, cette sur-utilisation venant répondre aux sollicitations des acteurs de l’éco système du salarié : managers, collègues, clients etc. ou étant à l’initiative du salarié lui-même. Ce droit est présenté comme un levier pour améliorer la qualité de vie au travail (et sa philosophie est donc « dans l’ère du temps »). La nouveauté réside certainement dans le fait qu’il soit inscrit dans la loi, ce qui peut être considéré comme une spécificité française (par exemple, l’intrusion de l’Etat est rejetée aux Etats-Unis). L’objectif d’amélioration de la qualité de vie au travail pose toutefois des questions. Dans une entreprise où le serveur est mis en veille le week-end, un cadre qui souhaiterait vérifier ses mails un dimanche soir en vue de préparer sa semaine se verra pénalisé. La notion de confort est très relative et pouvoir profiter de la flexibilité des outils digitaux et des possibles asynchronismes qu’ils offrent, peut être considéré comme une forme de confort (et non comme une forme d’aliénation). Dit autrement, il y a dans le droit à la déconnexion un caractère normatif et une absence de remise en question de ce qui fait confort et bien-être au travail.
De plus, contrairement à d’autres dispositifs bien encadrés par la loi (voir le prêt de main-d’œuvre), le droit à la déconnexion est plutôt une invitation à la négociation, élargissant ainsi le champ d’action des partenaires sociaux pour la recherche de compromis adaptée aux spécificités de chaque entreprise. Pour le moment, aucune sanction n’est associée au non-respect du droit à la déconnexion. Toutefois, la nouveauté porte sur le contenu du message véhiculé : la norme du « salarié idéal », totalement engagé, travaillant jusqu’à tard le soir et disponible 24/7, est remise en question (voir article paru dans The Conversation). Les multiples formes d’appropriation de ce droit par les entreprises, les salariés, le management, seront intéressantes à observer dans le futur.
D’un point de vue managérial, ce changement presque culturel pose des questions relatives au lien de subordination et au contrôle. Jusqu’où l’entreprise peut-elle étendre son périmètre de contrôle ? Potentiellement les technologies de l’information permettent un élargissement infini de ce périmètre. Le droit à la déconnexion ne marque-t-il pas une évolution sourde et majeure d’étalement du périmètre de contrôle du management ?
Enfin, n’oublions pas que l’hyper réactivité n’a jamais été mère du travail bien fait !