"Le Bonjour ! qui me rapporte de l’information" par Albert David
Il y a quelques années, une recherche-action au sein d’établissements de santé[1] a abouti à des recommandations à l’usage des différents responsables hiérarchiques – la gouvernance et les managers de proximité, comme on dit aujourd’hui. L’une de ces recommandations peut surprendre par son apparente simplicité. Elle consistait à dire aux chefs de service que ce serait une bonne idée que de se (re)mettre à dire bonjour le matin en arrivant au travail ! Que des chercheurs universitaires spécialistes de management, et d’innovation en management, incluent ce type de recommandation dans leur vision d’un meilleur management pourrait faire douter de leur expertise (« ah, ces universitaires ») mais les chercheurs qui sont intervenus sont rompus aux recherches collaboratives et ont une grande expérience du management au quotidien, tant par leur vécu de terrain que par leurs connaissances plus abstraites. Ce dont il faut donc s’étonner, c’est que cette recommandation ait dû être faite !
On pourrait, en effet, en sourire ! Dire bonjour, en quoi est-ce du management ? Qu’est-ce que cela change ? Un peu de politesse apparente, et après ? Il faut, en réalité, changer de perspective. Si le « bonjour » doit relever d’un bon management, et pas seulement d’une politesse obligée, comment doit-il être conçu et mis en œuvre ? Que serait « le bonjour du bon manager », le « bonjour », par exemple, qui me rapporte de l’information » ?
Imaginons la scène : d’un côté, le bonjour de pur rituel, je passe devant les bureaux de mes collaborateurs, je dis juste bonjour, d’ailleurs je pense à autre chose, peut-être suis-je au téléphone. Au mieux, j’ai vu que tout le monde était là. De l’autre côté, si je pratique un bonjour plus attentionné, je deviens capable d’observer et d’interpréter un grand nombre d’éléments, qui, additionnés, vont me permettre de sentir l’ambiance, de remarquer que tel ou tel collaborateur ne semble pas dans son assiette, qu’un autre est à nouveau en retard, de glisser un mot à tel ou tel autre, peut-être de m’arrêter quelques secondes pour échanger. C’est un bonjour actif, contextualisé, qui procède de l’expérience et du discernement. Les collaborateurs vont intégrer dans leur vécu au travail ce moment d’attention, cette attention deviendra d’ailleurs réciproque. Une forme de générosité peut ainsi s’exprimer, une équité au sens de Fayol (la combinaison de la bienveillance avec la justice), un niveau plus élevé d’intégration au sens de Follett, un degré supérieur d’engagement et de responsabilité collective au sens de Barnard ; bref, mon « bonjour » aura réaffirmé et renforcé le collectif.
Fayol, Follett, Barnard : que ces auteurs fondamentaux en management soient mobilisés pour parler de l’intérêt de dire bonjour le matin en arrivant au travail montre assez qu’on est ici, même sur ce simple moment pratique, au cœur du management et qu’il était temps, dans cet établissement de santé, de restaurer quelques fondamentaux.
Barnard, C. (1938), The functions of the executive, Cambridge, MA : Harvard University Press.
Fayol, H. (1916), Principes d’administration industrielle et générale, Dunod.
Follett, M.P. (1924), Creative Experience, Longman, Greens and Company.
[1] Recherche conduite par Sébastien Damart, Université Paris Dauphine – PSL et Cercle de l’Innovation, et Pierre Souchon, Caracal Stratégies et Cercle de l’innovation.
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